l'intégralité de la lettre d'Einstein à Gutkind de 1954 (lettre en anglais -l'original est en allemand; traduction par le site 'Amateur Astronomy') Princeton, le 3. 1.1954 Cher M. Gutkind, Inspiré par la suggestion répétée de Brouwer, j'ai lu beaucoup de choses dans votre livre ces derniers jours: Merci beaucoup de me l'avoir envoyé. Ce qui m'a frappé en particulier était ceci. Nous sommes en grande partie semblables en ce qui concerne notre attitude factuelle vis-à-vis de la vie et de la communauté humaine: un idéal qui va au-delà de l'intérêt personnel, avec l'aspiration à la libération des désirs orientés sur l'ego, l'effort pour l'amélioration et le raffinement de l'existence, avec un accent sur l'élément purement humain, par lequel les choses inanimées doivent être perçues purement comme un moyen et auxquelles aucune fonction dominante ne doit être attribuée. (C'est surtout cette attitude qui nous unit en tant qu'authentique "attitude non-américaine). Néanmoins, sans l'encouragement de Brouwer, je ne me serais jamais amené à m'engager étroitement avec votre livre parce qu'il est écrit dans une langue qui ne m'est pas accessible. Le mot Dieu n'est pour moi rien d'autre que l'expression et le produit des faiblesses humaines, la Bible une collection de légendes vénérables mais encore plutôt primitives. Aucune interprétation, peu importe qu'elle soit subtile, ne peut (pour moi) changer quoi que ce soit à ce sujet. Ces interprétations raffinées sont naturellement très diverses, et n'ont pratiquement rien à voir avec le texte original. Pour moi, la religion juive non altérée est, comme toutes les autres religions, une incarnation de la superstition primitive. Et le peuple juif à qui j'appartiens volontiers, et dans la mentalité duquel je me sens profondément ancré, n'a toujours pas pour moi de dignité différente de tous les autres peuples. En ce qui concerne mon expérience, ils ne sont en fait pas meilleurs que les autres groupes humains, même s'ils sont protégés des pires excès par un manque de pouvoir. Sinon, je ne peux pas percevoir quoi que ce soit de "choisi" à leur sujet. En général, il me peine que vous revendiquiez une position privilégiée et essayer de la défendre par deux murs de fierté, l'un extérieur en tant qu'être humain et un intérieur, en tant que Juif. En tant qu'être humain, vous revendiquez dans une certaine mesure une dispense de la causalité que vous acceptez autrement, en tant que juif, d'un statut privilégié pour le monothéisme [ndt: ?]. Mais une causalité limitée n'est plus une causalité du tout, comme en effet notre merveilleux Spinoza l'a à l'origine reconnu avec une clarté absolue. Et la conception animiste des religions naturelles n'est en principe pas annulée par la monopolisation. Avec ces murs, nous ne pouvons qu'atteindre une certaine auto-tromperie; mais nos efforts moraux ne sont pas avancés par eux. Tout le contraire. Maintenant que j'ai exprimé complètement ouvertement nos divergences de convictions intellectuelles, il est encore clair pour moi que nous sommes très proches l'un de l'autre dans l'essentiel, c'est-à-dire dans nos évaluations du comportement humain. Ce qui nous divise n'est que le rembourrage intellectuel ou la "rationalisation", en langage freudien. Donc, je pense que nous nous comprendrions très bien si nous conversions sur des choses concrètes. Avec mes remerciements amicaux et mes meilleurs voeux, Bien à vous, A. Einstein